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Le système d’alerte précoce et de réponse de la CEDEAO

 

Entretien avec M. Augustin Sagna (mai 2009)

Chef du Bureau de la Zone IV d’ECOWARN

Le système d’alerte précoce et de réponse de la CEDEAO, connu sous le sigle ECOWARN (ECOWAS Early Warning and Response Network) est un outil d’observation et de suivi dans le cadre de la prévention des conflits et de l’aide à la décision. Suggérés dans l’Article 58 du Traité révisé de 1993 de la CEDEAO, son organisation et son fonctionnement sont définis par le Protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des Conflits, de Maintien de la Paix et de la Sécurité de décembre 1999. La mise en œuvre de cet outil est en cours depuis 2003.

   

 

En quoi le dispositif  ECOWARN est-il innovant ?

Ce dispositif est unique en Afrique, dans sa configuration, son évolution et sa mise en œuvre. Des discussions sont d’ailleurs en cours avec d’autres Communautés économiques régionales qui souhaitent s’en inspirer.

ECOWARN est constitué de deux bras opérationnels. Il ya d’une part  un Centre d’observation et de suivi basé à Abuja qui dispose d’une salle de situation (Situation Room) où travaillent des analystes et experts, des militaires, et des fonctionnaires de la CEDEAO. Actuellement dirigé par le Colonel Yoro Koné, ce centre est sous l’autorité du Colonel Touré, Commissaire en charge des Affaires politiques, de Paix et de Sécurité et du Président de la Commission, Dr. Mohamed Ibn Chambas. D’autre part, il s’appuie  sur quatre bureaux de zone répartis sur l’ensemble de la région : la zone couvre le Cap Vert, la Gambie, la Guinée Bissau et le Sénégal ; la zone II couvre le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali et le Niger ; la zone III couvre le Ghana, la Guinée Conakry, le Liberia et la Sierra Leone ; la zone IV que je dirige actuellement, couvre le Bénin, le Nigeria et le Togo.

Le premier bureau a été officiellement inauguré en octobre 2003 à Ouagadougou. J’avais alors été désigné pour le diriger. A l’origine, l’idée était de collecter, d’analyser et de mettre à disposition des chefs d’Etat de la région dans le cadre du Conseil de sécurité et de paix de la CEDEAO et de son Président, des informations pour prévenir les crises.

 

Depuis sa mise en place,  comment ce dispositif a-t-il évolué ?

ECOWARN a connu beaucoup d’évolutions même si on peut toujours faire plus. Nous disposons par exemple, d’un outil informatique performant que nous avons amélioré au fil du temps. Outil très technique, il s’est progressivement adapté aux réalités du terrain, notamment grâce à l’apport de la société civile ouest-africaine. Il a également fallu réaliser la traduction en français de ce système développé à l’origine en anglais. Cela n’a pas été un exercice facile ; les concepts étant parfois différents. Nous espérons très bientôt disposer d’une version en portugais. Le module tendanciel qui regroupe 94 indicateurs prédéfinis, sert de grille d’analyse des risques et permet de dégager rapidement les tendances en matière de sécurité dans des points donnés.

 

Cet outil semble très déshumanisé. Comment comptez-vous en faire un outil au service de la population d’Afrique de l’Ouest ?

L’approche statistique et/ou graphique qui semble en effet quelque peu déshumanisée, offre néanmoins l’avantage de mieux faire passer les messages aux politiques. Ces derniers acceptent plus aisément une analyse scientifique de la situation, qu’une analyse se basant sur des interprétations factuelles et/ou théoriques. Par ailleurs, à partir des informations, la CEDEAO développe des outils d’information et de prise de décision (rapports d’incident et de situation, daily highlights, country profiles, policy briefs, rapports mensuels et trimestriels).
Pour « l’humaniser », le Système dispose– parallèlement - on line et on time- d’un espace de dialogue et de débat, libre, opérationnel, spécialisé : le Peace Exchange Forum ou Forum de la Paix. Il s’agit d’un cadre d’échanges permettant de décloisonner et de mettre en synergie les acteurs. Il est accessible sur Internet à travers un code d’accès et un mot de passe. La CEDEAO va poursuivre le développement de ce système en renforçant ses capacités tant au niveau technique que humain. Elle cherche également à rendre accessibles les logiciels informatiques en les traduisant en français et en portugais.

Quel est le rôle aujourd’hui des bureaux de zones ? Comment fonctionnent-ils concrètement ?

Les bureaux de zones sont comme des bureaux d’observation et de suivi.  Dans le respect du principe de la souveraineté des Etats, la CEDEAO a recours à des sources ouvertes d’information. Ceci n’a rien à voir avec ce que l’on appelle l’Intelligence et la Contre-Intelligence du renseignement qui restent une prérogative des Etats pour gérer leur sécurité. Cette information ouverte est issue d’informations relayées par des officiers de liaison civils ou points focaux, membres de la société civile, présents dans chaque capitale de zone et formés par la CEDEAO. Chaque bureau travaille en liaison avec un représentant du gouvernement et un représentant de la société civile. Dans la plupart des pays, la société civile est représentée par un membre du Réseau régional de construction de la paix en Afrique de l’Ouest (WANEP) et le gouvernement par un membre de l’administration. Chaque semaine, les points focaux nationaux doivent remplir le formulaire d’indicateurs de risques du système ECOWARN. Après avoir analysé les rapports de situation hebdomadaire, les rapports d’incident et les formulaires d’indicateurs, le chef de bureau de zone envoie chaque lundi son rapport au Département de l’Alerte Précoce de la CEDEAO à Abuja.


Comment expliquez-vous que les médias, qui sont parfois acteurs de prévention mais aussi de tensions semblent absents du dispositif de l’Alerte précoce ?

Nous n’avons pas oublié les médias dans le dispositif. Compte tenu de leur rôle important dans la stabilité des pays et de la région, la CEDEAO entend d’ailleurs les impliquer davantage dans le dispositif, non seulement comme sources ouvertes d’information mais également comme acteurs de la prévention des conflits. Elle a organisé une rencontre dans ce sens avec les principaux médias régionaux fin mars à Abidjan.

 

On reproche à la CEDEAO de ne faire que de l’alerte mais de ne pas être en mesure de prévenir  les conflits comme en Guinée Bissau, par exemple. Comment pouvez-vous prévenir ce type de crises et quelles réponses pouvez-vous y apporter ?

Il est vrai que sur la question de la Guinée Bissau et de la République de Guinée par exemple, nous avions prévu ce qui allait se passer. La question restait de savoir quelle réponse apporter. A partir du moment où les pays membres de la CEDEAO ne sont pas encore prêts à confier une part de leur souveraineté à leur organisation régionale, nous ne pouvons pas intervenir en amont des crises. C’est un peu frustrant pour une structure comme la notre qui dispose des éléments d’alerte rouge mais ne peut s’en servir. Nous espérons qu’à l’avenir cela puisse changer.

En effet, dans le cadre du volet réponse d’ECOWARN, la CEDEAO réfléchit à la mise en place d’une force militaire en attente, l’équivalent des casques bleus qui agirait non seulement au niveau de la région mais au-delà,  sur l’ensemble du continent.


En quoi l’initiative conjointe CEDEAO/CSAO du Plan d’Action de Saly peut-elle s’inscrire dans le dispositif d’alerte précoce ? Comment les bureaux de zone peuvent-ils contribuer à sa mise en œuvre ?

Le  est très important pour les bureaux de zone car il définit un cadre de travail, des synergies entre les organisations de la Société civile et la CEDEAO. Il doit devenir un instrument essentiel dans la prévention des conflits en général et dans le système de collecte et dissémination de l’information en particulier. Concrètement chaque bureau de zone devra entrer en contact avec les quatre plateformes régionales du Plan d’Action de Saly. C’est une bonne chose que le Plan d’Action ait retenu le principe des quatre zones même si celles-ci vont être légèrement différentes. (La Mauritanie a été incluse dans la Zone Sahel alors que ce pays n’est plus membre de la CEDEAO. Le Burkina a été rattaché à la Zone Sahel alors qu’au niveau d’ECOWARN, il fait partie de la zone II.) Les plateformes régionales vont permettre d’établir un lien direct entre les bureaux de zone et la société civile. Ce qui devrait être mutuellement bénéfique. Ce qui me parait par ailleurs très important c’est qu’à travers ce type d’action, la CEDEAO parvienne à faire vivre sa vision 2020 d’une « CEDEAO des Peuples ».

 

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