Ces derniers mois, nous avons observé une augmentation sensible des obstacles aux échanges ainsi que de l’incertitude économique liée à l’action publique en général et à la politique commerciale en particulier. Cette accentuation marquée de l’incertitude a eu un effet négatif sur la confiance des entreprises et des consommateurs et devrait freiner les échanges et l’investissement.
Dans cet environnement difficile et incertain, nous avons revu à la baisse nos projections de croissance. Nous prévoyons maintenant que la croissance mondiale reculera de 3.3 % en 2024 à un taux modeste de 2.9 % en 2025 et 2026. Cette dégradation des perspectives économiques se fera sentir dans le monde entier, quasiment sans exception. Le ralentissement de l’expansion économique et la diminution des échanges nuiront aux revenus et freineront la croissance de l’emploi.
Même si l’inflation a diminué récemment dans la plupart des pays, l’inflation des services reste obstinément persistante et celle des biens a légèrement augmenté dans de nombreux pays, en raison de la hausse des prix des produits alimentaires. Le protectionnisme accentue ces tensions inflationnistes, et les anticipations d’inflation ont sensiblement augmenté dans plusieurs pays. Même si nous prévoyons toujours que l’inflation diminuera pour s’établir au niveau des objectifs des banques centrales d’ici à 2026 dans la plupart des pays, il faudra désormais plus longtemps pour atteindre ces objectifs. Dans les pays davantage affectés par les augmentations des droits de douane, l’inflation pourrait même se renforcer avant de diminuer.
Les risques ont aussi nettement augmenté. Il est à craindre que le protectionnisme et l’incertitude liée à la politique commerciale s’accentuent encore et que de nouveaux obstacles aux échanges soient mis en place. D’après nos simulations, les droits de douane supplémentaires dégraderont encore les perspectives de croissance de l’économie mondiale et alimenteront l’inflation, ce qui freinera encore davantage la croissance mondiale.
Les risques budgétaires augmentent également. Le niveau de la dette publique est déjà élevé dans de nombreuses économies avancées et économies de marché émergentes, et les tensions sur les dépenses s’accentuent dans des domaines comme la défense, l’investissement dans la transition écologique et les coûts liés au vieillissement de nos sociétés. Le coût du service de la dette s’alourdit aussi, ce qui renforce encore les tensions exercées sur les finances publiques. Les niveaux d’endettement élevés et le durcissement des conditions financières constituent en particulier une source de risques pour les pays en développement, qui vont être nombreux à devoir satisfaire d’amples besoins de refinancement à brève échéance. Le niveau historiquement élevé de valorisation des actions accentue également la vulnérabilité des marchés financiers aux chocs négatifs.
Dans ce contexte, les pouvoirs publics ont un rôle crucial à jouer pour s’attaquer à l’incertitude et stimuler la croissance. En tout premier lieu, il est essentiel d’éviter tout renforcement de la fragmentation des échanges et des obstacles au commerce. Pour relancer la croissance et l’investissement et éviter une hausse des prix, il faudra conclure des accords permettant d’atténuer les tensions commerciales ainsi que de réduire les droits de douane et d’autres obstacles aux échanges. Cela constitue de loin la priorité la plus importante de l’action publique.
En deuxième lieu, compte tenu des récentes tensions inflationnistes, les autorités monétaires devraient rester vigilantes. Cela dit, sous réserve que les tensions commerciales ne s’intensifient pas et que les anticipations d’inflation restent ancrées, il sera possible de réduire les taux directeurs si l’on prévoit que l’inflation diminuera ou restera modérée.
En troisième lieu, il est essentiel de rétablir la discipline budgétaire, pour que les pays puissent éviter des problèmes de viabilité des finances publiques et constituer des marges de sécurité leur permettant de faire face à de futurs chocs. Compte tenu des niveaux d’endettement élevés et des tensions extraordinaires qui s’exercent sur les dépenses, les pays devraient veiller à ce que leur dette publique soit effectivement sur une trajectoire viable. Des plans budgétaires à moyen terme clairs et crédibles sont nécessaires pour indiquer comment les pays envisagent de faire face à ces tensions sur les finances publiques. Par conséquent, réduire les dépenses non essentielles ou inefficientes, en effectuant périodiquement des examens des dépenses, cibler les politiques publiques et accroître les recettes, en réformant la fiscalité ou en élargissant la base d’imposition, constituent des mesures essentielles pour contribuer à garantir la viabilité budgétaire.
Enfin, il faudra renforcer l’investissement pour relancer nos économies et améliorer l’état de nos finances publiques. Comme nous le montrons dans notre chapitre spécial, l’investissement est trop faible depuis la crise financière mondiale. L’atonie de l’investissement a affaibli la croissance, la productivité et le niveau de vie des populations. Le recul de l’investissement des entreprises est non seulement imputable à l’incertitude et au fléchissement de la demande, mais aussi à des facteurs structurels. On peut citer à cet égard la diminution des pressions concurrentielles, ainsi que des difficultés de financement qui sont devenues plus manifestes tandis qu’une proportion croissante de l’investissement était consacrée aux actifs incorporels – comme les logiciels ou les activités de recherche-développement (R-D). Par ailleurs, l’investissement en logements a été trop modeste pour que puisse être évitée une dégradation sensible de l’accessibilité financière de l’immobilier d’habitation dans de nombreux pays. Quant à l’investissement public, il a aussi été insuffisant pendant trop longtemps dans de nombreuses économies.
Dans ces Perspectives, nous recommandons aux pays d’adopter différentes mesures pour dynamiser l’investissement et la croissance, notamment d’engager des réformes de nature à renforcer la concurrence et à alléger les coûts induits par la réglementation, d’accroître les investissements publics dans l’énergie ainsi que dans les infrastructures numériques et critiques, de remédier aux pénuries de compétences et aux problèmes d’inadéquation des compétences, ainsi que d’accélérer la délivrance des autorisations et permis de construire et d’assouplir les restrictions en matière de zonage et d’urbanisme, et la réglementation de l’immobilier locatif, pour renforcer l’offre de logements.
En définitive, dans le contexte actuel, les gouvernements devraient travailler ensemble pour s’attaquer à l’incertitude et mettre en œuvre des réformes pour favoriser la croissance et la création d’emplois. La signature d’accords commerciaux permettant de dissiper les tensions actuelles et de réduire ou d’éliminer les obstacles devrait s’accompagner d’efforts redoublés visant à renforcer la coopération multilatérale. Les gouvernements doivent aussi s’attaquer aux problèmes qui se posent au niveau national pour stimuler la croissance et rehausser durablement le niveau de vie des populations, en favorisant l’investissement des entreprises et l’investissement public, et en mettant en œuvre des réformes structurelles propices aux gains de productivité pour améliorer la compétitivité de leur économie.
Les pouvoirs publics ont un rôle crucial à jouer en cette période difficile et incertaine.
3 juin 2025
Álvaro Pereira
Chef économiste de l’OCDE