L’ampleur de l’emploi informel et la faiblesse de l’assistance sociale témoignent des défis importants en matière de protection sociale auxquels le Sénégal fait face. Aujourd’hui, moins d’un Sénégalais sur quatre bénéficie d’un programme de protection sociale, tandis que les prestations associées restent limitées. Ce rapport explore comment le pays peut élargir la couverture sociale et garantir son financement de manière durable. Il détaille les leviers pour élargir l’espace budgétaire, notamment par un renforcement de la mobilisation des recettes fiscales, une rationalisation des dépenses fiscales et une réforme des subventions à l’énergie. Le rapport examine également les mesures pertinentes pour renforcer les régimes contributifs et favoriser la transition vers le travail formel. Ce faisant, il offre des pistes de réflexions et recommandations pour les décideurs, chercheurs et partenaires au développement engagés dans le développement d’un système de protection sociale inclusif et durable au Sénégal.
Financement de la protection sociale au Sénégal

Résumé
Synthèse
Le Sénégal fait de la protection sociale un pilier central de sa stratégie de développement. La Vision Sénégal 2050 place la protection sociale au cœur du nouveau modèle de développement du pays. La Stratégie nationale de développement 2025-29, qui décline cette vision à moyen terme, vise ainsi à construire un système de protection social inclusif et efficient grâce à un espace budgétaire suffisant. Cette volonté politique constitue un levier essentiel pour le développement des filets sociaux, ainsi que des régimes contributifs.
Malgré des développements récents, le système de protection sociale sénégalais reste insuffisant pour répondre aux besoins de la population. Tout d’abord la couverture de la population est faible, avec moins d’un Sénégalais sur quatre bénéficiant d’un programme de protection sociale. Ensuite, le niveau des prestations sociales est bas. À titre illustratif, le montant des bourses de sécurité familiale n’a été réévalué qu’une fois en douze ans d’existence du programme. Enfin, certains dispositifs de protection sociale ne sont pas encore en place, tels qu’un minimum vieillesse ou une assurance chômage.
Dans un contexte d’informalité important, le développement de l’assistance sociale s’avère nécessaire pour tendre vers une couverture sociale universelle. En 2022, les dépenses consacrées à l’assistance sociale représentaient moins de 1 % du PIB, un niveau inférieur à de nombreux pays de développement comparable. Ceci représente l’équivalent de 2,5 % du budget du Sénégal, soit environ un tiers de la cible fixée par la Stratégie nationale de protection sociale 2016-35. Les mesures de développement de l’assistance sociale considérées dans ce rapport à titre illustratif (extension du Programme national de bourses de sécurité familiale à l’ensemble des ménages pauvres, extension des allocations familiales à l’ensemble des ménages, et mise en en place d’une pension sociale de 20 000 FCFA par mois pour les personnes de plus de 60 ans non pensionnées) nécessiteraient un montant de l’ordre de 3 % du PIB.
L’élargissement de l’espace budgétaire, notamment à travers la hausse des recettes fiscales, est un préalable au financement accru de l’assistance sociale. En 2022, le taux de pression fiscale s’établissait à 19,8 % du PIB. Le Sénégal dispose d’un potentiel de recettes fiscales additionnelles de l’ordre de 3 % de PIB au travers de la mise en œuvre d’une réforme fiscale. Le développement de l’économie formelle et une croissance économique soutenue contribueront en outre à générer davantage de recettes fiscales. À ce titre, l’ambition de réformer simultanément les Codes des Impôts, des Douanes et des Investissements offre une opportunité de repenser en profondeur la conception et l’administration de la politique fiscale sénégalaise. Une fois l’espace budgétaire élargi, le niveau de cible d’engagement budgétaire au profit de la protection sociale reflètera les priorités des autorités pour ce secteur. Si la priorisation budgétaire est parfois complexe, notamment en ce qu’elle doit rester crédible auprès des populations et des acteurs du secteur, elle reste néanmoins préférable au mécanisme de fléchage des recettes fiscales qui crée des rigidités budgétaires importantes.
La réforme fiscale devra privilégier un élargissement des assiettes fiscales à une hausse des taux, ces derniers étant déjà élevés. Cela passe notamment par une rationalisation des dépenses fiscales fondée sur leur évaluation rigoureuse et exhaustive pour cibler et éliminer les moins efficaces. Les incitations fiscales relatives à l’impôt sur les sociétés pourraient être repensées, la progressivité de l’impôt sur le revenu des personnes physiques renforcée en limitant les déductions régressives, et la neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée consolidée. En parallèle, le renforcement des impôts sur les produits néfastes à la santé permettrait des marges budgétaires additionnelles.
L’élargissement de l’espace budgétaire pour le financement de l’assistance sociale reposera également sur les recettes issues de l’exploitation des ressources naturelles et la réduction des subventions à l’énergie. Bien que les montants des revenus issus de l’exploitation des hydrocarbures soient incertains, une partie de ceux-ci pourrait soutenir la politique sociale nécessaire au développement inclusif du Sénégal. Ces ressources pourraient en particulier financer des mesures d’adaptation au changement climatique, notamment face aux catastrophes naturelles, et accélérer la transition vers une économie moins carbonée, en réponse aux défis environnementaux croissants que le Sénégal connaît. La réduction amorcée et progressive des subventions à l’énergie constitue un levier clé pour libérer des ressources en faveur de transferts sociaux ciblés. Une communication efficace et des mesures d’accompagnement seront cruciales pour assurer l’adhésion sociale à cette réforme.
Parallèlement aux efforts budgétaires pour le financement de l’assistance sociale, la formalisation des travailleurs informels et le développement des régimes contributifs, encore embryonnaires, sont essentiels. Plusieurs mesures non exclusives peuvent être envisagées :
Rendre le régime de la contribution globale unique (CGU) attractif pour les petits contribuables informels en y intégrant une forme de protection sociale, dans le cadre d’une réforme plus globale de cet impôt. Cela pourrait inclure l'intégration des cotisations sociales du régime simplifié des petits contribuables (RSPC) au sein de la CGU. Au-delà des seuils d’éligibilité au RSPC, des niveaux de cotisations et de protection supérieurs pourraient être intégrés à la CGU. La prise en charge de prestations de protection sociale associées à l’acquittement de la CGU pourrait s’accompagner d’une modeste revalorisation des taux de CGU. La partie des recettes de CGU correspondant aux cotisations sociales devrait alors être remise aux caisses.
Réduire le poids de la fiscalité sur le travail formel. Le Sénégal est dans un équilibre défavorable de cotisations sociales élevées appliquées à un nombre extrêmement réduit de travailleurs. Au niveau du salaire minimum, la charge fiscale et sociale s’élève à 33 % du coût total de la main d’œuvre, représentant une barrière au travail formel. Dans ce contexte, un allégement des cotisations pour les petites et moyennes entreprises, ainsi que la suppression de la contribution forfaitaire à la charge des employeurs, pourraient être envisagés. Le financement de la formation professionnelle serait alors assuré par le budget général de l’État.
Renforcer la lutte contre l’évasion sociale. Pour réduire le non-paiement, ou paiement partiel, des cotisations sociales par les unités de production enregistrées, notamment au sein des unités de taille intermédiaire, des contrôles accrus ainsi qu’une approche collaborative autour des données à échanger entre les caisses de prévoyance sociale d’une part, et avec l’administration fiscale d’autre part, s’avèrent déterminants.
Renforcer la qualité des prestations sociales associées aux régimes contributifs pour favoriser l’adhésion et la participation à ces régimes.
Enfin, améliorer la gestion et la gouvernance du secteur de la protection sociale apparaît nécessaire. L’absence de périmètre de la protection sociale commun à tous les acteurs, couplé à la multiplicité des programmes, complexifient la lisibilité du secteur. Le manque de données actualisées limite les possibilités d’évaluation, préalable à une planification fondée sur une logique de résultats, et pénalise l’amélioration et la rationalisation des programmes. Plus généralement, une réflexion sur l’organisation du secteur serait bénéfique dans la perspective de la mise en place de la Caisse autonome de protection sociale universelle, ainsi qu’un meilleur contrôle des institutions de prévoyance maladie.
Principales recommandations
Copier le lien de Principales recommandationsLe rapport développe les éléments du diagnostic présenté ci-dessus et formule une série de recommandations, dont les principales sont les suivantes :
Évaluer les dépenses fiscales en vue d’un plan de rationalisation, en particulier celles relatives à la taxe sur la valeur ajoutée et à l’impôt sur les sociétés.
Renforcer la progressivité de l’impôt sur le revenu des personnes physiques en limitant les déductions régressives.
À long terme, renforcer la neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée, notamment dans le secteur agricole.
Renforcer la fiscalité sur les produits néfastes à la santé et initier une réflexion à haut niveau politique sur la nécessité de directives régionales plus ambitieuses.
Poursuivre la rationalisation des subventions à l’énergie, en maintenant les mesures compensatoires à destination des ménages vulnérables et en assurant une communication claire et transparente.
Réduire le coût du travail formel, en allégeant les cotisations sociales pour les petites et moyennes entreprises et en supprimant la contribution forfaitaire à la charge des employeurs.
Réviser le régime de la contribution globale unique pour y intégrer une forme de protection sociale, améliorer sa conception et faciliter la transition des contribuables vers le régime réel, en se basant sur les travaux d’un groupe de travail interministériel à créer.
Faire de la lutte contre l’évasion sociale une priorité, notamment en axant les efforts sur une meilleure gestion des données et une plus grande collaboration au sein de l’administration pour renforcer l’efficacité du contrôle.
Définir un périmètre de la protection sociale partagé par l’ensemble des acteurs, améliorer la qualité des données et élaborer des comptes satellites du secteur.
S’engager sur une cible de dépenses d’assistance sociale basée sur la remise à jour du cadrage budgétaire de la Stratégie nationale de protection sociale et suivre son évolution dans le temps.
Mener une réflexion sur la gouvernance du secteur de la protection sociale, en considérant notamment le rôle de la future Caisse autonome de protection sociale universelle et la refonte du fonctionnement du marché des institutions de prévoyance médicale.
Évaluer la qualité du ciblage des programmes d’assistance sociale.
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Document de travail16 octobre 2024