Comment un système de coopération pour le développement apprécié pour son approche à long terme, fondée sur la patience et des principes, peut-il optimiser son avantage comparatif face aux pressions budgétaires croissantes et aux examens internes ? Cette question sous-tend l’examen par les pairs de la Suisse réalisé par le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE sous la conduite de la Hongrie et du Luxembourg, avec la participation de la Croatie en qualité d’observateur. Cet examen évalue la situation en Suisse, les réalisations du pays et la façon dont il peut encore s’améliorer. Au cours des dernières années, l’aide publique au développement (APD) de la Suisse a augmenté pour atteindre 5.2 milliards USD en 2023, soit 0.6 % du revenu national brut (RNB) du pays. Toutefois, l’enveloppe prévue pour la stratégie 2025‑28 (11.12 milliards CHF, soit 12.57 milliards USD) abaissera le ratio APD/RNB à 0.41 %, soit 0.36 % hors coût des réfugiés dans le pays donneur (CRPD). Il est essentiel pour le pays d’élaborer des stratégies en vue d’inverser cette tendance afin de tenir ses engagements et de réaliser ses ambitions.
L’engagement de la Suisse sur le long terme dans des régions complexes est un véritable atout. L’approche à long terme retenue par le pays pour mener ses programmes – avec une montée en puissance progressive au fil du temps – est fortement appréciée. Par ailleurs, la Suisse participe souvent à des projets dont les résultats ne sont pas toujours immédiatement tangibles ou facilement mesurables, mais qui peuvent induire des changements positifs dans la durée. En apportant son aide à des projets complexes, la Suisse apparaît souvent comme un donneur de référence, ouvrant ainsi la voie à l’intervention d’autres acteurs.
À la suite de la recommandation formulée dans l’examen par les pairs de 2019, la Suisse s’est manifestement efforcée de réduire le nombre de ses pays prioritaires. Ces derniers sont passés de 52 à 41 au total dans le cadre de la stratégie 2021‑24, principalement sous l’effet de la suppression progressive par la Direction suisse du développement et de la coopération (DDC) des activités de coopération bilatérale pour le développement en Amérique latine et dans les Caraïbes (ALC) et en Mongolie. La planification et la gestion de la sortie de la région ALC, ainsi que les activités de communication afférentes, ont été bien menées avec les pays partenaires et les agents, en accordant une attention particulière à l’apprentissage et la durabilité.
Si la réduction de la pauvreté est un objectif clair de la coopération suisse pour le développement, la part des pays les moins avancés (PMA) bénéficiant de l’APD bilatérale suisse a diminué ces dernières années. Cela s’explique en partie par l’augmentation des dotations allouées au CRPD et au soutien apporté à l’Ukraine. Dans la mesure où l’engagement de ne laisser personne de côté est un élément prioritaire pour la DDC, la Suisse devrait veiller à ce que l’objectif de réduction de la pauvreté soit systématiquement pris en compte dans l’ensemble de ses programmes.
Les agents suisses affectés à la coopération internationale sont des professionnels compétents et leur expertise est un atout de taille ; mais il reste difficile de pourvoir les postes ouverts dans des contextes fragiles. Identifier des agents formés, expérimentés et motivés dans la perspective d’un détachement dans des contextes fragiles reste un défi pour la DDC, malgré l’expérimentation de solutions telles que le partage de poste depuis le précédent examen par les pairs. Il demeure également difficile de constituer et d’entretenir une expertise thématique. Adapter la gestion des ressources humaines aux spécificités de la coopération pour le développement, notamment en rendant le système de rotation plus flexible, permettrait de progresser sur ces points.
La Suisse dispose de l’un des systèmes de mesure d’impact les plus complets parmi les membres du CAD. Ce système repose sur l’association équilibrée d’indicateurs standard et d’indicateurs spécifiques au contexte. Depuis 2019, le pays a encore amélioré sa gestion axée sur les résultats en affinant les indicateurs et en renforçant la prise de décision fondée sur des éléments factuels. Le système de gestion des données sur les résultats a permis d’améliorer la transparence, même si des difficultés subsistent en matière d’accès aux données, de collecte et au regard des risques en termes de sécurité. Harmoniser le recours à ce type de gestion entre la DDC, le Secrétariat d’État à l'économie (SECO) et la Division Paix et droits de l’homme (DPDH) permettrait d’améliorer l’agrégation des résultats. Même si la collaboration entre ces institutions prend de l’ampleur, les évaluations conjointes demeurent rares du fait des différences institutionnelles. La culture de l’apprentissage pourrait en outre être mise à mal par l’attention accrue portée à l’efficience et à la redevabilité par le pays ; il convient donc de préserver les ressources et le temps consacrés à l’apprentissage et à la réflexion.
Ces derniers temps, le soutien du public et de la classe politique à la coopération pour le développement a diminué. Le financement des stratégies de sensibilisation et de communication consacrées au développement a lui aussi reculé. En outre, la technicité du langage et la confidentialité compliquent parfois les actions de communication sur la valeur de la coopération internationale de la Suisse. Le pays doit adopter un discours convaincant qui invoque la réputation internationale de la Suisse et met en lumière les avantages, sur le plan intérieur, de la coopération pour le développement et des contributions suisses au développement durable et à la stabilité mondiale. Par ailleurs, le choix des canaux de communication et le contenu des messages doivent être davantage ajustés de façon à servir les collaborations avec les décideurs politiques et les organisations de la société civile.
La Suisse dispose des atouts nécessaires pour intervenir dans des environnements instables. Le pays a initié ces dernières années l’une des réformes administratives les plus ambitieuses parmi les membres du CAD. Baptisée « Fit for Purpose » (F4P), cette réforme a notamment regroupé les unités de la DDC chargées de l’action humanitaire et du soutien au développement. Cette initiative a permis d’analyser et de réagir de façon concertée aux crises émergentes ou prolongées, en établissant un lien entre les réponses à court et à long terme. Le parcours d’apprentissage de deux ans (2020‑22) mis en place par la DDC, axé sur le maintien de son engagement dans des contextes autoritaires, aide la Direction à mieux réagir face au recul de la démocratie, tout en se révélant utile à d’autres membres du CAD. Grâce à sa neutralité, son expertise technique et la robustesse de ses cadres d’intervention, la Suisse parvient à instaurer un climat de confiance avec les autorités locales, tout en protégeant les acteurs de la société civile, ce qui en fait un partenaire de développement apprécié, même dans des environnements soumis à des contraintes politiques. Forte de cette posture unique, la Suisse devrait inciter ses agents à consacrer davantage de temps à la mise en place et à la consolidation de ces partenariats, ainsi qu’au développement de la compréhension politique nécessaire pour orienter les programmes en faveur des aspects essentiels à la résilience et à la stabilisation. En s’appuyant sur la réforme F4P, la Suisse pourrait lier plus étroitement les efforts en matière de développement et les objectifs relatifs à la paix. Elle pourrait envisager l’ensemble de son portefeuille sous l’angle de la fragilité, et pas uniquement dans les contextes de crise.
La Suisse a été à l’avant-garde de diverses initiatives positives menées avec le secteur privé en matière de développement, mais des liens plus étroits entre les instruments permettraient d’obtenir davantage de résultats. Ces initiatives concernent la formation professionnelle, le financement axé sur les résultats et la création de la SDG Impact Finance Initiative (SIFI), qui vise à mobiliser des ressources privées à l’appui du développement. Si le SECO et la DDC interviennent parfois sur des thèmes similaires – conditions-cadres économiques, développement des compétences, soutien aux PME, fonds d’investissement –, les possibilités d’échange de connaissances sont limitées. Les ambassades ne sont en outre pas suffisamment impliquées dans les projets soutenus par les instruments suisses comme la SIFI ou le SIFEM, et n’ont parfois pas connaissance de leur existence. La clarification des liens entre les différents instruments et le recensement des domaines de complémentarité permettraient à la Suisse d’exploiter au mieux les différents outils propres aux acteurs du secteur privé. En outre, si la Suisse est actuellement en première ligne du déliement de l’APD, le programme d’aide partiellement liée prévu en faveur de l’Ukraine risque de mettre à mal cet engagement.
La Suisse a pris des mesures pour améliorer la cohérence des politiques, mais elle peine à intégrer de façon systématique les considérations transnationales dans les politiques fédérales. Des mécanismes normalisés de consultation et de coordination garantissent la recherche d’un consensus et l’harmonisation entre les différents départements. De plus, la Stratégie pour le développement durable 2030 et ses plans d’action visent à intégrer le développement durable dans tous les secteurs de l’action publique. Toutefois, ces initiatives évaluent rarement les effets transnationaux des politiques. La Suisse soutient la durabilité des échanges au moyen de dispositions spécifiques dans les accords commerciaux et de plateformes comme la Better Gold Initiative, même si les contraintes liées au respect des règles et les pratiques de marché soulèvent des difficultés. Des progrès ont été accomplis en matière de conduite responsable des entreprises et de lutte contre les flux financiers illicites, mais des lacunes persistent dans la réglementation du commerce des matières premières et dans la répression de la corruption.