La série « Fact Sketching » est réalisée en collaboration avec Cartooning for Peace (Dessins pour la Paix). Chaque mois, un dessin accompagné d’un texte offre un regard alternatif sur les enjeux au Sahel et en Afrique de l'Ouest.
Créé en 2006 à l’initiative de Kofi Annan, prix Nobel de la paix et ancien secrétaire général des Nations Unies, et du dessinateur de presse Plantu, Cartooning for Peace est un réseau international de dessinateurs engagés à promouvoir, par le langage universel du dessin de presse, la liberté d’expression, les droits de l’Homme et le respect mutuel entre des populations de différentes cultures ou croyances.
Sécurité alimentaire et nutritionnelle
Glez (Burkino Faso)
Crises alimentaires récurrentes
Depuis de nombreuses décennies, le nombre absolu de personnes souffrant de malnutrition chronique ou conjoncturelle augmente au Sahel et en Afrique de l’Ouest, même si leur proportion par rapport à la population totale diminue. Depuis les famines de 1972-73 et 1984-85, la prévalence de la sous-nutrition a globalement diminué dans la région, passant de 24 % en 1990-92 à 14.7 % en 2017-19 selon le rapport sur L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde. La forte croissance démographique masque les efforts consentis et les bons résultats obtenus en la matière.
Depuis les années 2010, le facteur sécuritaire est venu s’ajouter à l’équation complexe de la faim et de la malnutrition. L’insécurité civile explique en grande partie pourquoi les populations sahéliennes ont connu en 2020 l’une des plus graves crises alimentaires depuis des décennies (16.9 millions de personnes en besoin d’une assistance alimentaire immédiate en juin-août 2020, soit 7.2 millions de plus par rapport à la même période en 2019). La réunion du Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA) d’avril 2021 annonçait que la région devait se préparer pour la deuxième année consécutive à une crise alimentaire et nutritionnelle majeure susceptible de toucher, si les mesures appropriées n’étaient pas prises, près de 27.1 millions de personnes pendant la période de soudure 2021 (juin-août). Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la prévalence de la malnutrition aiguë globale dépasse d’ores et déjà le seuil élevé de 10 % dans plusieurs pays sahéliens. Environ 67 millions de personnes additionnelles, actuellement sous pression alimentaire (phase 2), pourraient basculer en situation de crise pendant cette soudure — un nouveau pic pour la région.
Les zones transfrontalières du Liptako-Gourma et du bassin du lac Tchad, particulièrement touchées par l’insécurité, concentrent les personnes en besoin d’assistance alimentaire. Dans la zone des trois frontières (Burkina Faso, Mali et Niger), 2.7 millions de personnes étaient en situation de crise et au-delà en juin-août 2021 ; l’insécurité alimentaire et nutritionnelle y est chronique : 1 personne sur 4 dépend de l’aide alimentaire. Selon les prévisions, en juin-août 2021, le nord du Nigéria, lourdement affecté par l’insécurité civile, recenserait à lui seul environ 12.8 millions de personnes en besoin d’assistance alimentaire immédiate, soit près de la moitié de celles de la région (47.4 %).
Paradoxes nutritionnels régionaux
Pourtant, la région enregistre régulièrement des augmentations importantes de production agricole. L’Afrique de l’Ouest a enregistré une bonne campagne agropastorale 2020-21 ; avec une production céréalière et de tubercules en hausse (estimées respectivement à 74.3 millions et 194.9 millions de tonnes) et une bonne production fourragère. Cependant, ces résultats risquent d’être compromis par : l’insécurité qui entrave l’accès aux champs et aux pâturages ; les chocs économiques, notamment l’inflation qui entraîne la forte hausse des prix au Libéria, au Nigéria et en Sierra Leone ; les mesures prises pour faire face à la pandémie de Covid-19 qui empêchent le fonctionnement normal des marchés et restreignent la mobilité pastorale ; et les aléas climatiques qui affectent les récoltes comme par exemple les fortes inondations survenues pendant les saisons des pluies 2020 et 2021.
L’insécurité alimentaire et nutritionnelle, qui n’est plus l’apanage du monde rural, gagne du terrain dans les villes. En 2018, 110 millions de personnes en Afrique de l’Ouest n’avaient pas une alimentation adéquate, dont 52 millions étaient en surpoids ou obèses (principalement dans les villes). Au Burkina Faso, le taux d’obésité avait grimpé de 1 400 % au cours des 36 années précédentes. Ce déséquilibre alimentaire, causé par de nouvelles habitudes alimentaires et un mode de vie sédentaire, entraîne une « épidémie » de diabète et de maladies cardiovasculaires. Les derniers chiffres du Rapport mondial de la nutrition faisaient état d’anémie chez 50 % des femmes ouest-africaines en âge de procréer et d’obésité chez 13 % des femmes de la région, provoquant ce qu’il convient d’appeler un « double fardeau » nutritionnel.
Perspectives
Touchée par diverses fragilités écologiques (incertitudes climatiques, dégradation des ressources naturelles, menaces acridiennes…), l’évolution de la situation alimentaire et nutritionnelle de la région demeure incertaine. Elle peut connaître des pics de crise ou des accalmies au gré des mutations engendrées par les différents facteurs évoqués plus haut auxquels s’ajoutent les chocs socio-économiques (volatilité des prix alimentaires, inflation, crises sécuritaire et sanitaire…). La résilience des populations, c’est-à-dire leur capacité à résister et à rebondir après un choc et de s’adapter au changement, est un impératif à inscrire au cœur des politiques publiques à long terme. Pour y parvenir, des leviers sont d’ores et déjà mis en œuvre à l’échelle régionale, parmi lesquels : la Charte pour la prévention et la gestion des crises alimentaires (Charte PREGEC) ; l’Alliance globale pour la résilience (AGIR) ; les instruments de solidarité régionale face aux crises alimentaires comme la Réserve régionale de sécurité alimentaire de la CEDEAO ; les systèmes d’information sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle facilités par le RPCA ; les instruments de renforcement du leadership des États dans la gouvernance de la sécurité alimentaire et nutritionnelle ; ainsi que les outils d’analyse des transformations des systèmes alimentaires au Sahel et en Afrique de l’Ouest et leurs implications pour les politiques publiques.
Insécurité
Cartographie de la violence au Sahara-Sahel
Zapiro (Afrique du Sud)
Cartographie de la violence au Sahara-Sahel
En Afrique du Nord et de l’Ouest, les organisations extrémistes violentes, les milices et les rebelles sécessionnistes ont récemment prospéré en raison de l'incapacité des États à pleinement contrôler leur propre territoire. L'insécurité politique a atteint des records sans précédent, avec près de 112 000 personnes tuées au cours de la dernière décennie. Peu d'États de la région ont été épargnés par cette vague et beaucoup sont confrontés à une violence qui se propage par-delà les frontières.
S'il ne fait aucun doute que la violence augmente en Afrique du Nord et de l'Ouest, il est important de savoir si les organisations violentes intensifient leurs efforts dans certaines localités, étendent l'insécurité à d'autres régions ou se délocalisent sous la pression des forces gouvernementales. Le programme Sécurités et frontières du Secrétariat du Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO/OCDE) vise à cartographier l’évolution de cette géographie de la violence dans la région.
En février 2020, lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, le CSAO/OCDE a lancé le rapport « Géographie des conflits en Afrique du Nord et de l'Ouest » qui analyse plus de 30 000 événements violents enregistrés dans 21 pays depuis la fin des années 90 pour cartographier l'évolution à long terme de la violence dans la région. Ce travail s'appuie sur un nouvel indicateur de la dynamique spatiale des conflits (SCDi) qui examine deux dimensions fondamentales de la violence politique : l'intensité et la concentration.
Insécurité politique et interventions militaires
Au cours des 22 dernières années, le nombre de zones où ont sévi des violences politiques a été multiplié par 5. En 2018, le nombre d'événements violents et de victimes a été supérieur à la moyenne des 20 dernières années dans plus de la moitié des régions en conflit. Partout où un conflit était présent, il était susceptible d'empirer. Au Sahel central (Burkina Faso, Mali et Niger), de nouveaux foyers de conflits sont apparus dans des régions auparavant exemptes de violences politiques, comme le Gourma et le Delta intérieur du Niger. Dans ces régions, la violence politique est désormais à la fois très localisée et intense.
Le nombre de victimes civiles dans les conflits ouest-africains dépasse désormais celui attribué aux combats entre le gouvernement et les groupes armés. Le contrôle de la population est devenu l'un des défis majeurs des insurrections. Cette tendance entraîne une augmentation de la violence à l'égard des civils. En plus des discriminations structurelles qui pèsent sur leur émancipation sociale, leur activité économique et leur représentation politique, les femmes paient un lourd tribut à ces luttes armées. Dans les zones de conflit, elles sont explicitement visées par les attaques, les enlèvements, les viols et l'exploitation sexuelle de certaines organisations extrémistes. Les femmes peuvent aussi être sympathisantes de ces dernières, mobilisées dans le recrutement de nouveaux membres et la promotion des objectifs de leurs organisations, ou même impliquées dans la poursuite des actes de violence.
Les interventions militaires étrangères dans la région ont rarement conduit à une stabilité sur le long terme et ont été généralement suivies d'une reprise des activités insurrectionnelles. En Libye et au Mali, la violence a augmenté dans le cadre de ces interventions, puis elle a rapidement diminué à mesure que ces dernières progressaient pour ensuite réapparaître, revenant à des niveaux comparable ou pire que ceux qui avaient déclenché les interventions. Dans la région du lac Tchad, l'offensive lancée en 2015 par le Nigéria et ses voisins a marqué un tournant dans la guerre contre Boko Haram, en réduisant initialement l'intensité de la violence et en la circonscrivant à des zones reculées. Depuis lors, cependant, la violence s’est révélée être persistante, augmentant en intensité dans le temps tout en s’étendant dans l’espace.
Enseignements politiques tirés de la géographie des conflits
Premièrement, la détérioration de la situation sécuritaire démontre que des solutions politiques doivent être trouvées et appliquées à une échelle régionale car les interventions militaires centrées sur un seul pays n'ont pas apporté une stabilité permanente. Deuxièmement, la résolution des conflits à long terme implique la restauration de la légitimité des États et de leur capacité à contrôler les frontières afin d'arrêter la propagation de la violence inter-États. La lutte contre l'extrémisme violent exige également de renforcer la cohésion nationale en reliant mieux les capitales aux régions périphériques. Une attention particulière devrait être accordée aux villes frontalières : 10 % des victimes recensées depuis 1997 ont été tuées à moins de 10 km d'une frontière terrestre. Troisièmement, le fait que les civils paient un prix aussi élevé dans les conflits actuels devrait encourager les autorités à mesurer leur force dans leurs opérations militaires. Protéger la population civile en général, et les femmes en particulier, des violences et gagner leur soutien s’avère être un moyen efficace de contrer les stratégies des groupes extrémistes fondées sur la peur et l'exclusion.
Enfin, les interventions militaires sont dans un premier temps efficaces pour réduire l'intensité de la violence et, dans certaines circonstances, pour en limiter temporairement la propagation. Toutefois, ces interventions n'ont pas encore permis à elles seules de pérenniser la stabilité à long terme de la région. Des insurrections continuent d'apparaître en raison de griefs, réels ou perçus, qui devraient être résolus par des moyens civils plutôt que militaires. Les forces étrangères ne peuvent que ramener les conflits à un niveau gérable pour permettre aux instances décisionnaires des États où ils se développent de déployer des efforts de résolution politique.
Genre
Femmes et sécurité alimentaire et nutritionnelle au Sahel et en Afrique de l’Ouest
Glez (Burkina Faso)
Femmes et sécurité alimentaire et nutritionnelle au Sahel et en Afrique de l’Ouest
Les femmes jouent un rôle central dans un large éventail d’activités qui sous-tendent la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Elles sont le moteur de l’économie alimentaire du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest ; deux tiers des femmes employées y travaillent, représentant 51 % de la main-d’œuvre. Elles dominent les segments non agricoles des chaînes de valeur alimentaires, y compris la transformation et la vente de produits alimentaires ainsi que la restauration de rue. Elles sont également des acteurs importants dans le commerce transfrontalier.
Néanmoins, l’accès à des aliments abordables et nutritifs est hors de portée de nombreuses femmes et filles. Les faibles niveaux de revenus et d’éducation, les normes sociales, les lois et les pratiques discriminatoires telles que celles révélées par l’Indicateur des institutions sociales et de l’égalité femmes-hommes (SIGI), sont à l’origine de l’insécurité alimentaire des femmes. Ces inégalités limitent leur droit de propriété sur des biens tels que la terre, l’eau et l’énergie, l’accès aux services financiers, au capital social, à l’information et aux technologies, ainsi qu’aux intrants et services agricoles. La double charge qui pèse sur les femmes pour équilibrer les exigences de la production agricole, du travail domestique et de soin non rémunérés, aggrave ces inégalités.
Plus de 40 % des femmes en âge de procréer souffrent d’anémie à travers 14 pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, ce qui entraîne une morbidité maternelle et infantile et compromet à terme l’autonomisation économique des femmes. Le retard de croissance, une mesure de la malnutrition chronique, a souvent ses origines in utero en raison d’une mauvaise nutrition maternelle. L’obésité, qui était pratiquement inconnue dans le passé, touche plus de femmes que d’hommes. Les femmes en surpoids risquent davantage de donner naissance à des bébés plus lourds, ce qui les expose à un risque plus élevé de surpoids ou d’obésité à l’âge adulte.
Le changement climatique et la variabilité du climat exacerbent la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes, qui perturbent les cycles de production alimentaire. Si ces phénomènes touchent toutes les populations, les pauvres, et en particulier les femmes, sont les plus touchés. Les terres marginales qu’elles ont tendance à cultiver sont susceptibles d’être plus touchées par la désertification et l’érosion des sols. La collecte de l’eau et du bois prend plus de temps et nécessite de parcourir de plus longues distances à pied, souvent dans des conditions défavorables ou dangereuses. Dans ce contexte, la santé et la nutrition des femmes et des filles sont menacées.
Dans les zones de conflit, comme le Liptako-Gourma, les femmes sont vulnérables à la violence sexuelle et basée sur le genre. La pénurie alimentaire entraîne des tensions et parfois de la violence au sein de la famille. La vulnérabilité des femmes à la violence a des implications qui dépassent les individus eux-mêmes ; leur statut économique et leur pouvoir de décision sont directement liés à des indicateurs tels que la survie des enfants et la malnutrition. Il existe également des implications à long terme et intergénérationnelles. Les conflits perturbent souvent la scolarisation des jeunes femmes et des filles et, de ce fait, produisent des effets en cascade. Un meilleur accès à l’éducation pour les filles n’est pas seulement corrélé à une réduction importante de la malnutrition infantile ; il retarde également la première grossesse d’une femme, un facteur clé pour la nutrition de la mère et de l’enfant.
Le Programme d’action de Beijing de 1995 a reconnu l’intégration de la dimension de genre comme une stratégie indispensable pour atteindre l’égalité des sexes, y compris dans le domaine de la sécurité alimentaire. Vingt-cinq ans plus tard, de nombreuses réponses ont encore tendance à fonctionner en silos et à se concentrer trop étroitement sur l’amélioration de la capacité d’action des femmes ou de leur accès à l’information, par exemple, au lieu de s’attaquer aux obstacles sociaux, structurels et institutionnels qui entravent la sécurité alimentaire et nutritionnelle des femmes et des filles. En outre, bien souvent, les politiques n’incluent pas les hommes et les garçons, alors qu’il est essentiel de comprendre les facteurs qui sous-tendent leurs motivations et leurs comportements pour s’attaquer aux obstacles sociétaux à l’égalité femmes-hommes. Le principal défi consiste à élaborer des réponses politiques inclusives qui s’attaquent à ces barrières. Une approche de la sécurité alimentaire et nutritionnelle intégrant l’égalité femmes-hommes pourrait contribuer à ouvrir la voie à un changement plus durable et transformateur au sein des systèmes alimentaires ouest-africains et à alimenter les progrès vers la réalisation non seulement de l’objectif « faim zéro » (ODD 2) mais aussi de celui de l’« égalité des sexes » (ODD 5) et des autres ODD.
L'Afrique et le COVID-19
Réponses à l’échelle du continent
Gado (Kenya)
Que se passe-t-il lorsqu'un virus mondial rencontre les réalités locales de l'Afrique de l'Ouest ?
L'Afrique de l'Ouest et le Sahel étaient déjà aux prises avec des conflits et une grave crise alimentaire et nutritionnelle avant l'apparition du coronavirus (Covid-19). Maintenant que les projecteurs sont braqués sur la Covid-19, les crises préexistantes risquent d'être négligées. Dans ce contexte, le Secrétariat du Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO/OCDE) a préparé une note d'orientation faisant le point sur certains des impacts potentiels de la pandémie et soulignant quelques implications politiques pour aider à soutenir l'action gouvernementale. Il souligne l'importance de mettre l'économie informelle et les initiatives locales au premier plan des stratégies de réponse, d'accroître la synergie et la coordination face à la multiplicité des crises, d'accélérer l'intégration continentale et de réaffirmer la centralité des systèmes alimentaires pour la région.
Le casse-tête de la dette
Les ministres africains des finances ont appelé à une riposte économique d'urgence coordonnée à hauteur de 100 milliards de dollars, comprenant l'exonération de tous les paiements d'intérêts au titre de la dette publique et des obligations souveraines, afin de dégager une marge de manœuvre budgétaire et des liquidités immédiates aux gouvernements pendant la crise. Le Club de Paris et les ministres des finances du G20 se sont ensuite mis d'accord sur une suspension limitée dans le temps des paiements du service de la dette pour les pays les plus pauvres, à laquelle tous les pays ouest-africains peuvent prétendre. Néanmoins, certains pays rompent avec cette initiative en raison des conditions de l'accord que certains jugent trop restrictives, tandis que d'autres font valoir l’émission de droits de tirage spéciaux comme moyen de créer les liquidités nécessaires.
Le Fonds monétaire international (FMI) a approuvé un allègement de la dette de six mois pour 25 pays pauvres, dont 11 pays d'Afrique de l'Ouest, afin de leur permettre de dédier davantage de ressources à la lutte contre la Covid-19. La question demeure de savoir comment traiter la dette africaine « contaminée par la Covid », alors qu'un allègement temporaire laisse les questions à long terme en suspens.
Les appels à l'allégement de la dette des pays africains (annulation de la dette publique et restructuration de la dette privée) ont été repris par les ministres des affaires étrangères du G5 Sahel ainsi que par les chefs d'État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Les membres du Comité d’aide au développement de l’OCDE (CAD), quant à eux, ont convenu d’une méthode pour comptabiliser l’allégement de la dette comme une aide publique au développement (APD).
Des gages de solidarité
Le Secrétaire général des Nations Unies (ONU) a publié le rapport intitulé Responsabilité partagée et solidarité mondiale : Gérer les retombées socio-économiques de la COVID-19 et a lancé un Fonds d’intervention et de relèvement des Nations Unies pour soutenir les pays à faible et moyen revenus. Afin d'enrayer le « virus de la faim » qui touche particulièrement les États fragiles et les populations vulnérables, la Banque africaine de développement, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le G5 Sahel ont promis une aide de 20 millions de dollars aux personnes déplacées de force et à leurs communautés d'accueil au Sahel.
Le magnat chinois Jack Ma et la Fondation Alibaba, avec l'aide d'Ethiopian Airlines, ont livré du matériel de prévention Covid-19, dont 1.5 million de kits de dépistage, 6 millions de masques et 60 000 combinaisons de protection qui seront distribués dans toute l'Afrique. Dans un deuxième don à tous les pays de l'Union africaine (UA), Jack Ma a annoncé l'envoi de 500 ventilateurs, 200 000 combinaisons et écrans faciaux, 2 000 thermomètres, 1 million d’écouvillons et de kits d'extraction, et 500 000 paires de gants. Cette annonce a été suivie d'un troisième don comprenant 4.6 millions de masques, 500 000 kits de dépistage, 200 000 ensembles de vêtements et d'écrans faciaux, 2 000 thermomètres, 100 scanners de température corporelle et 500 000 paires de gants. Ce matériel a été expédié par le Vol de solidarité des Nations Unies, qui distribue le fret de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) transporté par le Programme alimentaire mondial (PAM). Les livraisons ont été effectuées conformément au plan d'intervention continental établi par les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC), auxquels la Corée a fait don de 2 millions de masques. L'Union européenne (UE) a apporté une première contribution à la mise en œuvre de la stratégie continentale commune pour l'épidémie, en accordant une subvention de 10 millions d'euros, tout comme le Japon avec une subvention de 1 million de dollars. De nombreux autres gouvernements étrangers ont envoyé des fonds, des fournitures et des médecins directement aux pays d'Afrique subsaharienne. Les brigades médicales cubaines se tiennent prêtes à aider les pays africains sur demande, comme elles l'ont fait lors de l'épidémie d'Ebola.
La démonstration de la solidarité Sud-Sud et du soutien mondial est complétée par des liens inversés, comme la vingtaine de médecins somaliens envoyés en Italie pour aider à contenir la propagation de Covid-19 ou le soutien de l'Égypte envers les États-Unis.
En Afrique, le Maroc a fait preuve de solidarité panafricaine en fournissant une aide médicale à plusieurs pays. Les intellectuels francophones et anglophones du continent se sont mobilisés autour d'un débat public plus participatif sur la Covid-19, renforçant la faculté d’action du continent, ainsi que l'importance d'articuler un récit endogène.
Un monde interdépendant
Le vice-président de l'UA a déclaré que « personne n'est en sécurité si une personne n'est pas en sécurité ». L'Afrique fait partie d'une solution à part entière, qui comprend des chercheurs scientifiques expérimentés dans la gestion des maladies infectieuses et une riche biodiversité. De ce point de vue, elle peut apporter des contributions importantes au processus de développement de vaccins et de traitements adaptés. Une controverse a éclaté à propos d'un remède traditionnel malgache (Covid-Organics) utilisé pour traiter le virus, ce qui soulève des questions sur les processus de validation, de la recherche clinique au brevetage et aux droits de propriété intellectuelle en général, en particulier lorsqu'ils sont appliqués aux savoirs traditionnels.
Enfin, plusieurs chefs d’État africains et le président de l'UA ont signé l'appel à s'unir derrière un vaccin pour tou-te-s contre la Covid-19 qui serait disponible gratuitement, dans tous les pays.
Réponses à l’échelle du continent
Brandan (Afrique du Sud)
Réponses à l’échelle du continent
L'Union africaine (UA) et ses Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC) sont à la tête de la réponse continentale à la Covid-19. Après une réunion des ministres africains de la santé le 22 février 2020 (le premier cas de Covid-19 en Afrique de l'Ouest a été détecté au Nigéria le 27 février), l'UA a monté un groupe de travail sur le coronavirus (AFCOR), a élaboré une stratégie commune pour l'épidémie, a créé un fonds de lutte contre la Covid-19 pour les contributions des États membres de l'UA et des particuliers du continent et d’ailleurs, et a mis en place un cadre de participation des jeunes à la réponse à la pandémie. Le président de l'UA a nommé un groupe d'envoyés spéciaux pour mobiliser le soutien économique international. L'Agence de développement de l'UA (AUDA-NEPAD) a publié un livre blanc soulignant l'impact des nombreuses « inconnues connues » de la pandémie. L'organisation panafricaine a également lancé la plateforme africaine de fournitures médicales pour mettre en commun les achats et acheter des équipements médicaux certifiés. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), tous les pays africains disposent maintenant de capacités d'analyse en laboratoire du coronavirus.
Les réponses ouest-africaines
Des organisations régionales, telles que la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), fournissent des plans stratégiques, des plateformes de coordination et des comités de surveillance. L'Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS), qui est l'institution spécialisée de la CEDEAO en charge des questions sanitaires, a organisé des formations régionales pour les travailleurs de la santé et a distribué des kits de tests et des équipements de protection individuelle (EPI), ainsi que des médicaments, notamment la chloroquine et l'azithromycine, à ses 15 États membres. Il met en ligne également quotidiennement des mises à jour régionales de la Covid-19. Un sommet extraordinaire des chefs d'État a chargé l'OOAS de mettre en œuvre le plan d'action régional de riposte à la Covid-19, a décidé de soutenir la production locale de produits agricoles ainsi que la fabrication de produits pharmaceutiques et d'équipements de protection sanitaire, et de lever les restrictions à l'importation de biens essentiels au sein des pays de la CEDEAO.
Les mesures sanitaires face aux réalités locales
Plus d'un tiers des ménages ouest-africains ne dispose pas d'une installation de base pour se laver les mains et jusqu'à 86 % des personnes sur le continent dépendent d'un travail informel nécessitant des interactions quotidiennes en face à face. Les conséquences des mesures prises pour arrêter la Covid-19 risquent d’enliser les activités économiques à tous les niveaux : le commerce mondial des matières premières, comme c'est le cas pour les exportations de pétrole au Nigéria ou la production de coton au Bénin, en Côte d'Ivoire, au Mali et au Togo ; l'intégration régionale, en retardant l'avènement de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) ; et les systèmes alimentaires locaux, qui sont touchés par la rupture des chaînes d'approvisionnement. Il en résulte que certains pays adoptent des mesures palliatives, comme la distribution de nourriture et de produits de première nécessité, la mise en place de filets de sécurité sociale et même l'introduction d'un revenu universel, tandis que d'autres font maintenant marche arrière sur la sévérité des restrictions initialement déclarées ou tentent d'articuler des stratégies de déconfinement intelligentes pour soutenir la reprise des micro, petites et moyennes entreprises (MPME) et des ménages vulnérables.
La Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique a averti que l'Afrique pourrait perdre la moitié de la croissance de son Produit intérieur brut (PIB) en raison de la perturbation des chaînes d'approvisionnement mondiales et de la chute des prix des matières premières. Les autres prévisions envisagent même, pour la première fois depuis 22 ans, une récession. La dimension mondiale de la crise et les interdictions de voyage qui en découlent affectent fortement les flux de remises migratoires et le tourisme international. Les chaînes de valeur régionales de l'Afrique de l'Ouest sont gravement touchées, notamment dans le domaine de l'agriculture et du pastoralisme, aggravant une situation alimentaire et nutritionnelle déjà alarmante. Les Nations Unies ont mis en garde contre la détérioration rapide de la crise du Sahel qui est liée aux conflits, à l'insécurité alimentaire, aux inégalités et maintenant, à la pandémie de Covid-19, soulignant qu'au 11 mai 2020, les plans de réponse humanitaire au Sahel n'avaient reçu que 11 % des 2.6 milliards de dollars américains (USD) demandés.
Parallèlement aux politiques mises en place par les gouvernements, les institutions financières africaines proposent des réponses musclées pour atténuer les retombées socio-économiques de la Covid-19. La Banque africaine de développement a monté une émission obligataire sociale de 3 milliards USD et une facilité de réponse à la Covid-19 de 10 milliards USD. La Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest soutient les institutions de crédit et les entreprises confrontées à l'épidémie. La Banque ouest-africaine de développement accorde 120 milliards de francs CFA de prêts concessionnels — soit 15 milliards de francs CFA à chacun de ses huit États membres — permettant ainsi de prendre des mesures urgentes pour faire face à la crise sanitaire et à ses conséquences.
Une exception africaine?
Glez (Burkina Faso)
L'Afrique, qui abrite la majorité des personnes les plus pauvres du monde (90 % d'ici 2030) et de nombreux pays fragiles, est exposée au Covid-19. Sa démographie – un âge médian de 19 ans – pourrait limiter les impacts directs du virus. Cependant, le très grand nombre de personnes dont le système immunitaire est déjà affaibli par des carences nutritionnelles et des maladies chroniques, pourrait accélérer sa propagation. Dans les zones arides, les tempêtes de sable régulières exposent les populations à des maladies respiratoires liées à la poussière.
En outre, le nombre croissant d'agglomérations urbaines denses et souvent polluées, avec peu de possibilités de distanciation sociale, la prédominance de l'économie informelle, qui dépend de contacts directs quotidiens, et la mobilité des travailleurs saisonniers, mettront à mal les efforts de lutte contre le virus. Sans l'adhésion des communautés touchées, des mesures inadaptées et restrictives pourraient exposer les pays africains à des troubles et à des désordres.
Il est vrai que, pour l'instant, la pandémie semble se propager à un rythme plus lent en Afrique qu'ailleurs dans le monde et avec un taux de mortalité plus faible. Il est également vrai que le nombre de tests effectués est très faible (à l'exception de l'Afrique du Sud et du Ghana) et que « l'Afrique est mal équipée pour répondre à l'épidémie mortelle de coronavirus », selon l'Organisation mondiale de la santé. L' « exception africaine » au virus est donc une hypothèse qui doit être considérée avec prudence.
Au Sahel et en Afrique de l'Ouest, la pandémie ajoute une strate supplémentaire aux crises préexistantes.
La région est actuellement en proie à la fois à une crise alimentaire imminente – 17 millions de personnes devraient avoir besoin d'une aide alimentaire et nutritionnelle pendant la période de soudure de juin à août 2020 – et à une augmentation de la violence politique alors que des foyers de conflits au Sahel central, au lac Tchad et en Libye ont coûté la vie à 92 000 personnes depuis 2011. Le Bureau des chefs d'État et de gouvernement de l'Union africaine (UA) a averti que le Sahel a besoin d'une attention particulière à la lumière des activités terroristes, et a promis sa solidarité avec les pays de cette région « qui doivent lutter contre le double fléau du terrorisme et du Covid-19 ». De plus, les ministres des affaires étrangères du G5 Sahel ont appelé à une vigilance accrue à l’égard de la propagation du terrorisme à un moment où les gouvernements se concentrent sur la lutte contre le Covid-19.
En plus de disposer d'un personnel de santé limité, la plupart des pays d'Afrique de l'Ouest manquent d'hôpitaux équipés en unités de soins intensifs (le Burkina Faso ne dispose que de 11 ventilateurs pour environ 20 millions de personnes) et, lorsqu'ils existent, ces établissements de santé de haut niveau sont répartis de manière inégale sur les territoires nationaux.
Les systèmes de santé africains ont souffert des réductions sévères des dépenses sociales imposées par les politiques d'ajustement structurel mises en place dans les années 90 en réponse aux conditionalités fixées par les institutions financières internationales. L'état de la santé en Afrique est encore affaibli par un rétrécissement de la marge de manœuvre budgétaire : la faiblesse des recettes fiscales (jusqu'à 5.7 % au Nigéria en 2019, par exemple) et l'augmentation de la dette publique limitent la capacité des pays à financer leurs dépenses.
Pourtant, en avril 2001, les pays de l'UA se sont réunis à Abuja, au Nigéria, et se sont engagés à consacrer au moins 15 % de leur budget annuel à l'amélioration du secteur de la santé. En 2014, aucun État d'Afrique de l'Ouest n'avait atteint cet objectif, mais l'engagement a été réitéré lors du sommet extraordinaire de la CEDEAO qui a eu lieu à la suite de l'épidémie d'Ebola dans la région et, une fois encore, lors de la récente session extraordinaire de l'Autorité des chefs d'État et de gouvernement de la CEDEAO sur la situation et l'impact du Covid-19.
Les opinions et les arguments exprimés ici ne reflètent pas nécessairement les vues officielles des pays membres de l'OCDE ou des Membres du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO). Ce document, ainsi que les illustrations, données et cartes qu’il peut comprendre, sont sans préjudice du statut de tout territoire, de la souveraineté s’exerçant sur ce dernier, du tracé des frontières et limites internationales, et du nom de tout territoire, ville ou région.