Le code est le prochain langage universel. Dans les années 1970, le punk rock a été le moteur de toute une génération, remplacé par l’argent dans les années 1980. Aujourd’hui, l’interface entre notre imagination et le monde est le logiciel. C’est pourquoi il faut qu’un nombre croissant de personnes variées cessent de considérer les ordinateurs comme des objets ennuyeux, machinaux et solitaires pour les voir comme des choses qu’ils peuvent manipuler, bricoler et tourner dans tous les sens. Je pense que les petites filles ne savent pas encore qu’elles ne sont pas censées aimer les ordinateurs. Les petites filles sont précises, elles savent se concentrer, elles sont très douées pour raconter des histoires, s’exprimer et poser les bonnes questions. Et surtout, elles ne savent pas qu’elles ne sont pas censées aimer les ordinateurs. Leurs parents, eux, le savent. Ils pensent que la programmation est une discipline ésotérique et scientifique, pleine de mystère, presque aussi éloignée de la vie quotidienne que la physique nucléaire. Et ils ont raison. Il faut connaître une quantité astronomique de choses sur la syntaxe, le contrôle du flux, les structures de données, les algorithmes, les protocoles, les paradigmes et la programmation. Sur les bancs de l’école, plutôt que d’apprendre à utiliser les ordinateurs, je me suis enthousiasmée pour la création de mondes imaginaires, la conjugaison des verbes irréguliers en français, le tricot et la philosophie de Bertrand Russell. Et j’ai commencé à penser que le monde de la technologie était bel et bien solitaire, ennuyeux et machinal. Nous fabriquons des ordinateurs toujours plus petits, créons toujours plus de couches d’abstraction entre l’être humain et la machine. Nous enseignons aux enfants la biologie humaine, le fonctionnement des moteurs thermiques et la meilleure façon de devenir astronaute. Mais lorsqu’ils me demandent : « Est-ce que l’internet est un endroit ? », « Qu’est-ce qu’un algorithme de tri à bulle ? » ou encore « Comment l’ordinateur sait quoi faire quand j’appuie sur ‘‘play’’ ? », je suis réduite au silence. Pour certains, « c’est de la magie ». Pour d’autres, « c’est trop compliqué ! » Mais ce n’est pas de la magie, et ce n’est pas compliqué. Tout est juste arrivé très vite. Les informaticiens nous ont construit ces merveilleuses machines, mais ils nous les ont également rendues étrangères. C’est d’ailleurs pourquoi nous utilisons une langue étrangère. Personne ne m’avait dit que l’étude des verbes irréguliers développait les compétences de reconnaissance de forme, que le tricot n’était au fond qu’une séquence de commandes symboliques comprenant des boucles, et que la quête de Russell d’une langue exacte au carrefour de l’anglais et des mathématiques aurait trouvé sa place dans un ordinateur. Je pensais comme une programmeuse, mais je ne le savais pas. Les enfants d’aujourd’hui explorent le monde en cliquant, en tapant et en faisant glisser leurs doigts sur un écran. Mais si nous ne leur apprenons pas à construire ce monde, ils resteront des consommateurs et non des créateurs. Si JavaScript doit être la nouvelle lingua franca de la génération montante, il faudrait leur enseigner la poésie plutôt que la grammaire. Si nous changeons la perception qu’ont les enfants de ce qui est possible, nous pouvons faire changer le monde entier. Plus la technologie nous paraît accessible, plus nous jouons avec elle, plus nous démontons, manipulons, bricolons, et plus nous prenons conscience de ce qui est possible. Ce ne sont pas les technologies qui font les révolutions, mais bien les visionnaires. Imaginons un monde où l’histoire technologique n’a pas pour seuls protagonistes de jeunes ingénieurs de la Silicon Valley, mais également des écolières kenyanes et des bibliothécaires norvégiens. Un monde de uns et de zéros où grandissent des petites Ada Lovelace assurées des pouvoirs, des limites et des possibilités de la technologie. Un monde technologique capricieux, merveilleux et un brin étrange. Un univers qui me permet de réaliser mes rêves d’enfants : me réveiller dans la vallée des Moomins, arpenter la planète Tatooine dans l’après-midi et m’endormir à Narnia. Car pour une personne passionné de mondes imaginaires et d’histoires, la programmation informatique est une carrière de rêve. Je ne construis pas mes mondes avec des histoires, mais avec du code. Avec lui, je crée mon propre petit univers, avec ses propres règles, ses paradigmes et ses méthodes, qui ne tiennent ensemble que par le pouvoir absolu de la logique. Au bout du compte, je reste une poète.
Adapté pour l’OCDE par l’auteure à partir de « Poetry of programming », une conférence TEDxCERN, Octobre 2015. Pour la visionner, voir www.helloruby.com/press
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Linda Liukas
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