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Jouer pour travailler

 

Les éducateurs pourraient-ils apprendre quelque chose du jeu ? La créativité et la collaboration sont importantes, et les systèmes éducatifs pourraient s’améliorer en apprenant les leçons de ces compétences générales développées par le jeu.


Dans de nombreux pays, le bien-être économique et social est aujourd’hui menacé par les hauts niveaux de chômage des jeunes. Pourtant, les entreprises déclarent avoir des difficultés à recruter à recruter les travailleurs dont elles ont besoin. D’après une enquête récente, 92 % des 500 cadres américains interrogés pensent qu’il existe un déficit de compétences. Et pour la moitié de ceux-ci ce déficit est dû au manque de compétences générales comme la communication, la créativité et la collaboration. Le moment n’est-il pas venu de repenser nos systèmes éducatifs ?


L’éducation est un processus cumulatif : chaque année, de nouveaux apprentissages viennent s’ajoutent aux acquisitions antérieures. Les bases sont posées dès la petite enfance. D’après une étude très rigoureuse qui a suivi des enfants jusqu’à l’âge adulte, deux ans d’éducation préscolaire de qualité suffisent pour réduire la probabilité de vivre des minima sociaux, accroître les chances d’avoir un emploi bien rémunéré et diminuer le risque de commettre un acte criminel.


Or, pour la plupart des experts, un enseignement préscolaire de qualité est surtout constitué de jeux. Pourrait-on réellement améliorer l’employabilité et réduire la criminalité en investissant dans le jeu ?


À la Fondation Lego, nous nous sommes penchés sur la question. Nous avons compris qu’en matière d’éducation préscolaire, la qualité ne tient pas à la quantité ou la précocité des apprentissages, mais au développement des compétences indispensables à la démarche d’apprentissage tout au long de la vie.


Grâce aux progrès dans l’étude du développement du cerveau, nous savons que c’est en jouant que l’enfant développe le mieux sa mémoire opératoire, la reconnaissance des modèles, la coordination œil-main, le langage, la motricité fine, compétences qu’il mobilisera ensuite pour apprendre à lire et écrire. Faute d’acquisition de ces compétences précoces, des déficits apparaissent dans le processus cumulatif, pouvant mener à une frustration et une attitude de repli, et créant en aval un besoin accru d’actions de remédiation, beaucoup plus coûteuses.


Ce qui est vrai du littérisme l’est aussi de ces « compétences générales » recherchées par les employeurs. En négociant les règles d’un jeu, en apprenant à partager un ballon ou à fabriquer un avion en papier, l’enfant acquiert les compétences fondamentales du travail d’équipe, de la collaboration, de la réflexion critique et de la résolution de problèmes, nécessaires aux emplois du XXIe siècle. Tout indique que ces « compétences générales » sont formées dès la petite enfance, et qu’elles sont d’assez sûrs indicateurs du succès ultérieur à l’âge adulte. Pour de nombreuse autres compétences recensées par les universitaires, comme l’autorégulation et la fonction exécutive, la conclusion est la même : le jeu est essentiel à leur acquisition.


Il est difficile de rompre l’habitude qui porte à privilégier la remédiation à destination des enfants plus âgés, plutôt qu’un effort accru sur l’éducation des tout-petits. À cet âge, l’apprentissage se fait partout et tout le temps : il faut aider les parents à comprendre ces questions et à créer des occasions enrichissantes pour l’enfant. Il faut investir davantage dans la formation des professionnels de la petite enfance, qui sont trop souvent des travailleurs mal rémunérés et mal formés. Des crèches aux jardins d’enfants, il faut des programmes adaptés à chaque âge plutôt que de mener une course à la précocité et brûler des étapes essentielles.


Les motivations sociales et économiques sont tout aussi fortes. En 2006, le Prix Nobel d’économie James Heckman, concluait ainsi une étude sur la question : « On investit rarement dans l’enseignement de la petite enfance défavorisée. Porteur d’équité et de justice sociale cet investissement est aussi un facteur de productivité à l’échelle de l’économie et de la société tout entière… Nous dépensons trop en actions de remédiation et pas assez dans l’éducation des tout-petits. »

 

Références 

Adecco Staffing US (2014), “State of the Economy and Employment Survey.”

Heckman, James (2006), “Skill Formation and the Economics of Investing in Disadvantaged Children”, Science Magazine, Vol. 312, American Association for the Advancement of Science, pp.1900-1902.


Heckman, James and Tim Kautz (2012), “Hard Evidence on Soft Skills” NBER Working Paper No. 18121, National Bureau of Economic Research (2012), Cambridge, MA.


Reynolds, Arthur J.; Temple, Judy A.; Robertson, Dylan L.; Mann, Emily A. (2001), “Long-term Effects of an Early Childhood Intervention on Educational Achievement and Juvenile Arrest” in Journal of the American Medical Association, vol. 285 (18) p. 2339.

 

Thématique du Forum de l’OCDE 2014

Travaux de l’OCDE sur l’économie et l’éducation

 

‌‌Randa Grob-Zakhary

Randa Grob-Zakhary
Directrice exécutive, Fondation Lego et

 

 Andrew Bollington

Andrew Bollington
Vice-président de la recherche et de l’apprentissage, Fondation Lego

© OCDE


©OECD Yearbook 2014

 

 

 

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