Allocution d'Angel Gurría, Secrétaire général de l'OCDE, devant le Conseil Économique, Social et Environnemental (France) lors de la conférence "Les Instruments Économiques, Financiers et Fiscaux de la Gestion de l’Eau en France et dans le Monde"
Paris, lundi 3 mai 2010
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Je voudrais remercier les organisateurs de cette conférence. Je suis toujours heureux de retrouver des collègues et amis – j’en vois beaucoup ici - qui partagent ma passion pour l’eau. Je suis particulièrement heureux d’avoir l’occasion de présenter le point de vue de l’OCDE sur l’approche économique de l’eau.
Pourquoi faut-il une approche économique de l’eau ?
Je suis parfaitement conscient que l’eau n’est pas seulement un sujet de nature économique. L’eau est nécessaire à la vie et chacun doit y avoir accès. Nous savons que si rien ne change, et malgré les politiques déjà mises en œuvre, près d’une personne sur deux sera confrontée au manque d’eau en 2030. C’est inacceptable et cela doit changer.
Pourtant, deux des principaux défis auxquels les pays de l’OCDE, comme les pays en développement, sont confrontés dans le domaine de l’eau sont de nature économique.
Le premier défi est la concurrence croissante entre les différents utilisateurs d’eau : les agriculteurs, qui doivent nourrir une population en croissance, dont les habitudes alimentaires changent avec le développement économique ; les prévisions de l’OCDE indiquent que la production agricole devra augmenter de 50% d’ici 2030 ; les autres secteurs économiques, qui ont besoin d’eau dans le cadre de leur activité ; les ménages ; les services.
Dans ce contexte, l’eau devient rare. Pas parce qu’il y en a moins, mais parce que les besoins augmentent et parce que la qualité de la ressource se détériore et des effets éventuels du changement climatique pourraient modifier sa disponibilité. Nous savons que cette rareté résulte en grande partie d’une mauvaise gestion : une gestion qui n’incite pas à utiliser l’eau de manière économe ; qui n’alloue pas systématiquement l’eau là où elle est le plus utile ; qui n’incite pas assez à préserver la qualité de la ressource.
Le second défi est d’une autre nature : il est nécessaire que tous, y compris les ménages pauvres, aient accès à des services d’eau et d’assainissement adéquats, durables et abordables. Même si, dans certaines régions, la rareté de l’eau est une contrainte, le déploiement des servies d’eau et d’assainissement est surtout entravé par des problèmes de gestion : des investissements mal conçus, des infrastructures dégradées faute de financement, ou des cadres règlementaires inadaptés.
La vision de l’OCDE pour une approche économique de l’eau
A l’OCDE, nous pensons que l’approche économique de l’eau permet de répondre à ces deux défis. Notre approche porte sur trois aspects : la gestion de la ressource en eau, le financement des infrastructures liées à l’eau et la tarification de l’eau et des services associés. Les travaux entrepris depuis plusieurs années par l’OCDE mettent en lumière un petit nombre de messages, que je veux rappeler ce matin.
Nous savons qu’une bonne gestion de l’eau contribue au développement de l’économie, à la santé et à la qualité de vie de nos concitoyens.
Concernant l’eau cela suppose d’avoir les bonnes institutions: l’approche économique de l’eau, c’est d’abord une bonne gouvernance. De notre point de vue, une bonne gouvernance de l’eau a au moins trois caractéristiques. D’abord, elle met en cohérence les politiques dans les domaines de l’eau, de l’environnement, de l’énergie, de l’agriculture, des transports, du développement économique, de la ville… Ensuite, elle articule les politiques nationales aux initiatives locales. De ce point de vue, la France, avec ses agences de bassin, propose un modèle intéressant.
Enfin, une bonne gouvernance suppose une tarification conçue pour allouer l’eau là où elle est le plus utile et pour inciter les utilisateurs d’eau à en faire le meilleur usage. Nous avons récemment publié une étude des pratiques de nos pays membres dans ce domaine, qui montre la diffusion des outils de tarification tels que les redevances de prélèvement et de pollution; un nombre croissant de pays déclare appliquer des redevances pollution ; certaines sont liées à différentes caractéristiques des pollueurs, des rejets ou des masses d’eau réceptrices.
En ce qui concerne les investissements dans les infrastructures d’eau, depuis le rapport Camdessus, la communauté internationale sait que des investissements nettement plus importants sont nécessaires pour atteindre les objectifs des politiques liées à l’eau et, surtout, ceux relatifs à l’assainissement. Une meilleure gouvernance peut réduire les besoins d’investissement et rendre le secteur de l’eau plus attractif pour les investisseurs. L’OCDE a récemment publié une checklist que les gouvernements peuvent utiliser pour s’assurer que leurs politiques sont favorables à l’investissement dans les infrastructures d’eau.
J’ai dit que la tarification était un instrument pour gérer la ressource en eau. Elle est aussi un instrument efficace pour financer les services liés à l’eau. Dans le domaine de l’agriculture, nous savons que le prix de l’eau payé par les agriculteurs ne reflète que rarement le coût des infrastructures, la rareté de la ressource, ou les valeurs sociales et environnementales attachées à la ressource. Dans ce domaine, le système français de redevances va dans le bon sens tout en n’allant pas assez loin. Il faut rappeler que, dans les pays où on fait payer l’eau plus cher aux agriculteurs, comme l’Australie et Israël, la production agricole n’a pas diminué. Il faut rappeler aussi que certaines subventions à l’agriculture entraînent un gaspillage ou une dégradation de la ressource en eau.
Dans le domaine de l’eau potable et de l’assainissement, la tarification est primordiale pour assurer le recouvrement durable des coûts. Elle doit être établie de façon transparente, en tenant compte des conditions locales et en prenant les mesures nécessaires pour faire en sorte que les populations pauvres et vulnérables aient accès à l’eau potable et à l’assainissement de manière durable, et à un coût abordable. Une analyse récente des tarifs pratiqués dans les pays de l’OCDE souligne la grande variété des prix (un bain coute dix fois plus chères au Danemark qu’au Mexique) et des structures tarifaires. Elle souligne aussi que les coûts liés à l’assainissement tendent à être mieux reflétés dans les factures acquittées par les ménages.
Dans ce domaine, la tarification doit être combinée à deux autres sources de financement : les taxes – il est normal que les contribuables participent au financement de services qui sont bénéfiques au bien-être social (santé publique, environnement, croissance économique) - et les transferts (c'est-à-dire, les différentes formes d’aide comme l’Aide Publique au Développement (APD) ou les différents financements européens). Aujourd’hui on reconnait aussi que l’eau est un vecteur du développement des pays pauvres. Cette combinaison forme ce qu’il est maintenant convenu d’appeler les 3Ts.
Les flux d’aide publique au développement dans le secteur de l’eau devraient continuer d’augmenter ; ils devraient être utilisés de façon stratégique pour compléter et appuyer les efforts déployés par les pays en développement pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement relatifs à l’eau et l’assainissement. De ce point de vue, je tiens à souligner l’effort de la France qui se classe au quatrième rang des membres du Comité d’Aide au Développement (CAD) pour l’aide qu’elle alloue au secteur de l’eau et de l’assainissement. La France consacre 7% de son programme d’aide au secteur de l’eau et de l’assainissement, ce qui est un peu plus que la moyenne des pays du CAD (6%). Les initiatives prises par la France dans le domaine de la coopération décentralisée dans le secteur de l’eau méritent aussi une attention particulière.
Pour aller plus loin – l’OCDE pour les bonnes politiques dans le domaine de l’eau
Mesdames et Messieurs, vous savez que à l’OCDE nous avons la volonté de contribuer activement à l’avènement de bonnes politiques dans le domaine de l’eau. Dans les années qui viennent, l’OCDE va continuer à travailler sur les liens entre eau et agriculture, sur le financement des politiques et des services liés à l’eau, sur la gouvernance de l’eau. L’OCDE apportera son expertise et mobilisera l’expérience de ses membres. Elle travaillera avec ses partenaires: avec l’UN Secretary-General’s Advisory Board on Water (UNSGAB), le groupe des Nations Unies sur l’Eau (UN Water), les autres organisations internationales, les administrations des pays membres et des pays partenaires, le secteur privé, les Organisations non-gouvernementales (ONG).
Il y a un aspect supplémentaire dans lequel l’OCDE peut jouer un rôle utile. Nous avons besoin de déclencher une prise de conscience collective. Je crois qu’un rapport sur la sécurité de l’approvisionnement en eau serait utile pour poser les bonnes questions, clore les faux débats et galvaniser les énergies. L’OCDE réfléchit avec ses partenaires à un projet de cette nature. Il porterait notamment sur la mesure des impacts sociaux et économiques de l’eau et sur le coût de l’inaction. Il pourrait être présenté lors du prochain Forum Mondial de l’Eau qui se tiendra en France. Le soutien actif de la France à cette initiative serait un signe très encourageant.
Je serais heureux d’écouter vos réactions et suggestions sur ce projet en particulier et, plus généralement sur l’approche économique de l’eau défendue par l’OCDE.
Merci beaucoup de votre attention!
Sources d’information
Pour consulter les travaux de l'OCDE sur l'eau, visiter: www.oecd.org/eau
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