6 juin 2019 | Javier Lopez Gonzalez
Sous l’égide de Douglas Adams, auteur de l’inégalable Guide du voyageur galactique, nous proposons ici un « Guide du voyageur à la découverte des flux transfrontières de données », conçu pour accompagner dans leur aventure tous ceux qui veulent comprendre le fonctionnement des échanges dans l’univers particulièrement complexe et déroutant de l’économie numérique. Certes, ce Guide ne saurait fournir une réponse à toutes les questions imaginables, mais il porte sur sa couverture, en larges lettres amicales, la mention : « PAS DE PANIQUE », pour adresser d’emblée un message de réconfort aux responsables publics en charge des politiques des échanges : tout va bien se passer.
Les flux de données jouent un rôle déterminant dans les échanges aujourd’hui, à tel point qu’il est difficile de se représenter clairement leur omniprésence. Vous venez de commander un livre sur un site de vente en ligne, d’installer une application, ou de télécharger le dernier épisode de votre série préférée ? Autant de transactions relevant de l’économie numérique, que vous n’auriez pas pu réaliser sans les flux transfrontières de données.
Néanmoins, tout comme les héros de Douglas Adams au cours de leur périple galactique, les données empruntent des cheminements mystérieux sur le réseau Internet. Les fichiers en transit entre deux pays sont d’abord découpés en « paquets » plus légers, dont chacun suit un itinéraire différent à travers les réseaux et les pays, avant d’atteindre leur destination, où ils sont à nouveau assemblés pour reconstituer le fichier original.
Des connaissances techniques sont ainsi bien souvent nécessaires pour établir la provenance initiale, ou la destination ultime, des données. Les entreprises utilisent fréquemment des serveurs situés dans différents pays pour atteindre une vitesse d’accès optimale et réduire le volume du trafic sur les réseaux. De ce fait, dans certains cas, ce que l’on croirait être un flux de données à l’échelon national est en réalité un flux transfrontières, et inversement. De plus, depuis l’avènement de l’informatique en nuage, les données peuvent être stockées en plusieurs lieux à un même instant, des éléments de données ou des copies étant conservés dans différents pays simultanément. Pour toutes ces raisons, la réglementation des flux de données est une problématique particulièrement complexe.
Il est également difficile de se figurer avec précision comment bits et octets se transforment en espèces sonnantes et trébuchantes. Par exemple, les données revêtent une valeur qui ne dépend nullement de leur volume, mais bien des informations qu’elles encodent et de l’utilisation qui en sera faite. Il est donc faux d’affirmer, comme d’aucuns ont pu le faire, que les données sont un produit de base parmi d’autres, à l’image du pétrole. En effet, si elles constituent bien une matière première essentielle des activités économiques et sociales contemporaines, les données – contrairement au pétrole – échappent au critère de rareté, et peuvent être copiées ou partagées moyennant un coût pratiquement nul. En d’autres termes, il en va des données comme de l’œuvre de Douglas Adams : oubliez tout ce que vous croyiez savoir, et surtout : bienvenue dans un univers à part.
Les pays ne manquent pas de raisons pour vouloir réglementer les flux de données. L’une des raisons invoquées est la protection de la vie privée et la sécurité des données à caractère personnel. Aujourd’hui, chacune de nos interactions sociales ou économiques peut laisser derrière elle un ensemble très riche d’informations. Or, les consommateurs ne connaissent pas toujours dans le détail la nature des informations collectées, ni l’utilisation qui en sera faite par la suite, en particulier lorsque les données transitent entre différents pays. Par ailleurs, les pays peuvent aussi imposer des restrictions sur les flux de données, ou imposer que certaines données soient conservées sur des serveurs locaux (nationaux), afin de respecter un cadre réglementaire – par exemple, en matière d’accès aux renseignements à des fins de vérification. Ils peuvent aussi appliquer des restrictions aux flux de données qui portent sur des informations considérées comme revêtant un intérêt particulier au regard de la sécurité nationale. Toutefois, certains pays font également une utilisation accrue de ces réglementations dans l’objectif de promouvoir le développement de capacités nationales dans des secteurs à forte intensité de numérique, comme s’ils déployaient un instrument de politique industrielle.
Les pays tendent à adopter des réglementations particulières, fondées sur des arbitrages spécifiques qui reflètent les préoccupations de leurs citoyens. Cependant, si l’on s’autorise à simplifier quelque peu les stratégies mises en place, il est possible de recenser quatre grandes approches. Celles-ci ne sont pas incompatibles entre elles, et peuvent coexister dans un pays qui appliquerait des stratégies différentes en fonction de la nature des données concernées (à titre d’exemple, les données médicales peuvent être soumises à une réglementation plus stricte que les données relatives à la maintenance de produits manufacturés).
Si ces réglementations peuvent affecter directement la capacité à échanger des biens et services numériques, elles peuvent aussi produire des effets négatifs indirects sur les échanges, en entravant des flux de données nécessaires à la coordination des chaînes de valeur mondiales. La simple présence aujourd’hui d’une mosaïque de réglementations disparates peut rendre plus difficile l’accès aux retombées des échanges numériques pour les petites et moyennes entreprises.
Si le réseau Internet a été conçu à l’échelle mondiale, et s’il ouvre de nouvelles possibilités aux citoyens ainsi qu’aux entreprises de toutes tailles, il soulève également des défis considérables pour l’élaboration des politiques publiques dans un monde dans lequel ni les frontières ni les divergences réglementaires entre les pays n’ont été abolies. À mesure que les pays réglementeront les flux transfrontières des données, il conviendra de prêter une attention croissante à la prise en compte des effets des réglementations sur les échanges, pour veiller à ce que les enjeux de protection de la vie privée, de sécurité, de défense de la propriété intellectuelle et des avantages offerts par les échanges numériques soient dûment compris, et pris en compte au moyen de mesures équilibrées.
Il semble bien la réponse à la grande question sur la vie, l’univers et les flux transfrontières de données ne soit pas le chiffre 42, comme l’indique le Guide du voyageur galactique original, mais bien un ensemble d’actions autorisant une interopérabilité accrue. En ce sens, les autorités de réglementation devront adopter une vision commune des bonnes pratiques internationales en matière de gouvernance des données. Elles devront échanger entre elles, en s’affranchissant de tout cloisonnement entre les domaines de l’action publique, les informations et les approches qui permettront d’apporter une réponse conjointe à ces questions complexes. Cette recherche d’une plus grande interopérabilité entre leurs approches conduira à retirer des enseignements utiles de l’expérience acquise par les parties prenantes du système commercial multilatéral pour promouvoir des échanges ouverts dans un contexte de réglementations non homogènes. Il conviendra alors de retenir les approches les plus transparentes et les moins discriminatoires et restrictives pour les échanges que possible (tout en permettant l’atteinte les objectifs définis).
Un autre facteur clé de succès résidera en un approfondissement du dialogue entre les différentes autorités publiques et les parties prenantes, telles que le monde de l’entreprise, la sphère universitaire et la société civile. Qui sait, des concertations assidues, convenablement ponctuées de pauses autour de la meilleure boisson de l’univers – le gargle blaster pan-galactique – permettront peut-être de dégager un accord, que nous pourrons accueillir d’un guilleret salut, et encore merci pour les échanges !
La transformation numérique a permis de réduire les coûts de participation aux échanges internationaux, a facilité la coordination des chaînes de valeur mondiales (CVM) et a contribué à la diffusion d'idées et de technologies et à la mise en relation d’un plus grand nombre d'entreprises et de consommateurs dans le monde.
L'échange omniprésent de données par-delà les frontières a suscité de nombreuses inquiétudes chez les gouvernements et les citoyens concernant certains effets de la quantité d'informations collectées et utilisées, souvent à l'insu des personnes concernées. Cela a conduit les pays à conditionner ou à interdire le transfert de données à l'étranger, affectant ainsi le commerce. Ce document développe une taxonomie indicative des approches nationales en matière de régulation des flux de données transfrontaliers et des exigences de stockage local; il examine les instruments internationaux qui traitent de la question des transferts internationaux de données; et examine les problèmes que les restrictions de flux de données pourraient poser aux consommateurs et aux entreprises.
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